Mince roman, à la sobre couverture ocellée, chez Zulma. Emprunté
à la bibliothèque en lieu et place de ShimShong,
fille vendue, sorti. Sombre histoire du destin d’un homme, idéaliste et
probe, entre les deux Corées déchirées par la partition. Médecin et professeur
de gynécologie et d’obstétrique à l’hôpital universitaire de Pyongyang, conduit
à passer au Sud, Han Yongdok dégringole, de vicissitudes en vicissitudes, l’échelle
sociale – et humaine ? - jusqu’à sa mort, qui ouvre le roman, lequel est
donc, sans transition, un long flash-back. Narration dépouillée, omnisciente,
explicative, ponctuée de longs (trop longs ?) dialogues, et de quelques
scènes saisissantes, séparations de part et d’autre d’un pont et d’une rivière
gelée, ou scènes de prison et de torture où se manifestent toute l’imbécillité et
la vénalité du tortionnaire moyen. Méditation sur le destin des hommes lorsque l'Histoire devient trop cruelle. Pour autant, j’ai lu ce roman plus comme un
document que comme un roman, dont la forme - trop classique ? - m’a laissée
sur ma faim.
Il y
a dans ce roman, qui s’écoule lentement au fil des saisons et des subtiles
métamorphoses du paysage, des scènes soudain brutales, où la violence explose
de façon presque insupportable. Comme celle où Nytta, le facteur de clavecin
aux mains fortes et douces, homme silencieux et bienveillant, s’attaque de
toute son énergie destructrice à un instrument qui sonnait mal, et qui lui a
été retourné. De créateur devenu, littéralement, assassin, sous le regard
épouvanté de la narratrice, Ruriko, et en présence de sa jeune assistante,
Kaoru, bouleversée, en pleurs.
Tel
est le trio qui constitue le cœur de l’intrigue de ce roman japonais
étrangement placé sous le signe de la culture occidentale : Ruriko
estcalligraphe, et son travail consiste
à recopier en lettres occidentales les textes les plus divers, de scènes
bibliques à l’interminable et rocambolesque biographie catastrophique d’une « cas
soce » devenue femme d’affaires au Japon, en passant par des enseignes et
autres décorations publicitaires. Travail qui exige patience et silence, et
concentration, mais peut-être pas tant de création que cela ?
Les
deux autres, inlassablement, façonnent le bois, lui donnent forme, taillent et
placent les sautereaux et les touches de mélèze, ensemble quêtant une harmonie
formelle que doit couronner une harmonie sonore, telle que l’illustre Kaoru,
mince et gracile devant l’instrument, dans ses interprétations de Rameau, ou de
Couperin (Les Tendres Plaintes, c’est un morceau de Rameau, mélancolique
et lancinant). Scènes diurnes ou nocturnes autour des clavecins dans la petite
maison des bois éclairée par un vitrail de toit qui irise les objets et les
souvenirs, scènes de nature sur l’étang où l’on rame, dans les prés où l’on
pique-nique (à l’occidentale), entre les racines maternelles et obscures d’un
arbre originel, scènes à l’auberge du Grasshopper avec l’énorme, généreuse,
plantureuse et anonyme aubergiste qui sait faire déployer d’un geste à son paon
la splendeur ocellée de sa traîne, ou consoler sur sa débordante poitrine tous
les chagrins d’hier et d’aujourd’hui - en maillot de bain rose à volants, dans
la piscine ^^ ! ... Personnage cocasse et paisible, elle fait partie des
êtres auprès desquels on peut goûter une forme de paix, dans cet univers où,
larvés, palpitent les désirs obscurs, les souvenirs insupportables, les
douleurs insurmontables. Il y a le chien, aussi, Dona (-tello, encore une
référence occidentale), vieillard aux yeux aveugles comme de la gouache bleue
dans du yaourt, mais attentif, amical, et résolument gourmand. Sa présence est
toujours un soulagement, même au plus fort des moments de crise, même lorsqu’il
est, vieillard impotent, presque à l’agonie. C’est donc une histoire d’harmonie,
perdue, et rêvée par les uns et les autres. Un beau roman certes, sur lequel je
vais m’arrêter là, faute de l’avoir emporté avec moi pour y vérifier tel ou tel
détail. Beau roman, donc, mais qui m’a laissé malgré tout une sorte de malaise :
le personnage de Ruriko, à travers laquelle est filtrée toute l’intrigue, a,
malgré ses peines et ses douleurs, quelque chose de gênant, d’inaccompli, de vampirique
en quelque sorte, et je ne l’ai pas aimée, jusqu’à la fin, qui m’a laissée
comme à la porte, désappointée.
C’est beau Kyôto. Exotique, profondément.
Comme le lent entrelacement de la Nature, avec ses saisons, les fleurs, les arbres, les montagnes, la brume, de la ville avec ses ruelles, ses fêtes, ses maisons de thé, ses boutiques d’étoffes, et des hommes, avec leurs cœurs incertains. La beauté du monde et des êtres s’exalte et se résout pour Chieko et son père dépressif en motifs textiles, en ceintures de kimonos.
Chieko est une très belle jeune fille, autrefois adoptée après avoir été abandonnée devant la boutique de ses parents. Comme les deux touffes de violettes qui, à l’ouverture du roman (de la longue nouvelle ?) tendent l’une vers l’autre depuis les nœuds d’un vieil érable, au centre de la cour familiale, où elle se sont nichées, Chieko retrouve sa sœur jumelle Naeko, qui travaille dans la montagne à polir les fûts de cryptomères destinés à l’architecture.
Il y a les deux jeunes filles et trois jeunes gens, les parents, des dialogues ponctués de silences, des noms, des fleurs, des arbres, des mœurs, infiniment différents, et pourtant proches. Et le monde qui change. Une danse de la vie hésitante et belle, aussi légère que la neige qui saupoudre, dans la dernière page, un petit matin d’hiver.
Ça y est j’ai fini ; je l’ai lu d’une traite, naturellement. 786 pages en fait, tassées, mais le papier, crémeux, est agréable à toucher et doux aux yeux. Il y a de belles marges, des interlignes qui aèrent la lecture, et le volume, bien relié, résiste à la torsion : chacun sait que la lecture d’un pavé est aussi un problème pratique : quelle position adopter, quel traitement faire subir au livre, à peine ouvert ou « cassé », à table ou allongé(e), sur le dos ou à plat ventre … ? il m’est quant à moi impossible de ne pas « casser » le dos d’un bouquin que je suis en train de lire. C’est donc un vaste roman indéniablement historique, puisqu’il a pour cadre géographique le Vietnam des années 50 à 69 à peu près, et pour le lecteur occidental infiniment exotique dans la mesure entre autres où les années ne sont mentionnées que selon leurs noms orientaux, ''années du coq, du serpent, du chat'' ou ''du rat'', sans que cela permette particulièrement de s’y retrouver d’autant moins qu’il ne semble pas si facile que cela de trouver même sur la toile un tableau de concordance.
Le roman donc a pour personnage central sinon principal « le président », âgé, et bouclé pour raisons de santé dans un monastère bouddhique réquisitionné pour l’occasion et dont seules deux bonzesses, une très âgée, une jeune, ont gardé le droit d’y officier. C’est la guerre contre les Américains, à la déclaration de laquelle il s’est opposé, mais il n’a plus son mot à dire dans les affaires du pays, auquel il ne sert plus que comme icône, ''Père du Peuple'' et Cie. Le temple se situe dans la montagne à proximité du « Village des bûcherons », et la mort accidentelle de l’un d’entre eux, un « bel homme âgé » pleuré par son jeune fils d’une douzaine d’années, fait revenir à sa mémoire et à son cœur le souvenir douloureux de son propre fils, né d’une liaison éblouie nouée dans sa première vieillesse avec une très jeune femme, et confié après l’assassinat de celle-ci à un de ses amis très proches, M. Vu. La plus que copieuse quatrième de couverture ne vous laissera à peu près rien ignorer de la construction du roman ni quasi de son contenu – c’est encore un problème, ces quatrièmes de couverture où on vous raconte l’histoire. Ici en outre le commentaire, exagérément lyrique, me paraît 1) relever de la méthode Coué 2) envahissant.