mercredi, août 14 2013

Nicolas Lebel - L’Heure des Fous

Il y a trop d’adjectifs dans L’Heure des Fous, de Nicolas Lebel, prêté par Sylvain. C’est la première impression que j’en ai eue, quasi chaque nom flanqué d’au moins un qualificatif, ça a un petit côté désuet, rédac’ d’autrefois… trop d’adjectifs, trop d’adverbes, trop de détails vestimentaires, couleurs des costumes et des cravates, du blouson ou de la jupe, trop de conversations parfois oiseuses qui affaiblissent des répliques enlevées ou bien senties, trop de JT restitués dans leur sommaire (avec pubs, ironiques peut-être, mais quand même !), il y a trop de comparaisons, parfois à la limite du ridicule : [l’homme] « tomba au sol comme une feuille qui, présomptueuse, a tenté de résister à l’automne », - Nooon ! -. En vérité et pour résumer, un trop grand souci de réalisme, un goût parfois excessif et naïf de la belle langue.

Mais cette avalanche de critiques n’est là qu’à titre d'exorde. Car, une fois ces réserves faites, parce qu’elles grippent la fluidité de ma lecture, L’heure des fous se lit d’une traite. L’intrigue mêle les flics d’un commissariat de quartier (le XIIe) avec la guerre des polices, une visite des égouts de Paris avec une bonne dose d’histoire - l’évocation de la cour des Miracles tressée avec celle des Catacombes - une réflexion sur les manipulations de masse avec l’évocation du monde contemporain des voyous, des clochards, des marginaux de tout poil….  Sous la houlette de l’insupportable, despotique, tonitruant capitaine Mehrlicht, incurable clopeur devant l’éternel, érudit, grossier, grand amateur d’argot et de sudokus, les flics Latour (Sophie, gracieuse et bretonne), Dossantos (Mickaël, bodybuildé tendance subfacho, mais brave type, en somme) et Ménard (François, Lyonnais, stagiaire) mènent tambour battant leur enquête sur le meurtre d’un clodo poignardé sur une voie de la gare de Lyon, laquelle les conduira d’un étrange monde de robins du Bois de Vincennes à un stock de chassepots disparus depuis le Second Empire, en passant par la Sorbonne, salles et cour d’honneur, ou la grande Arche de la Défense. De Victor Hugo (statue ET visite des égouts de Paris, avec flic portant autre flic blessé) à Eugène Sue (avec concierge Pipemot – celui des Mystères de Paris s’appelle Pipelet), en passant, et ce n’est pas l’un des moindres plaisirs ni l’une des moindres inventions de ce roman, par Michel Audiard et ses Tontons Flingueurs : le capitaine Mehrlicht est en effet doté d’un téléphone portable dont la sonnerie égrène, de façon aléatoire mais furieusement à propos in contextu, des répliques de ce film culte.

C’est chez Marabooks (jamais entendu parler), et si je peux me permettre, la couverture, en cela très tendance, est parfaitement hideuse. Mais c’est un polar érudit, malicieux, et bigrement français. Pour un premier roman, c’est une belle réussite.

mardi, août 13 2013

Etape gourmande

Il y a le viaduc de Garabit (pourquoi diable l'ont-ils peint en rose ?), quelques kilomètres après Saint Flour et sa rude et sombre église basaltique, perchée sur son rocher. On suit la D 909, à moins que l’on ne prenne l’autoroute A75 qui la borde presque exactement. On passe parmi les prés à peine fauchés et si odorants, et l’on arrive à Loubaresse (sortie 31 par l’autoroute). Et là, sur la place, de l’autre côté de la route face à l’église, il y a l’Auberge paysanne.

Nous y avions déjeuné, il y a 28 ans, lors d’un bref et épicurien séjour en Margeride, d’un généreux plat de girolles, de myrtilles à peine cueillies, de fromage blanc à peine égoutté… il y avait une salle basse, obscure, aux boiseries noircies par la fumée d’un âtre quasi médiéval avec sa broche - et le chien d’alors, qui, gavé de restes succulents, snobait les simples morceaux de pain.
J’y ai toujours fait étape depuis, lors de mes passages sur l’A75, quand l’heure s’y prêtait, seule, ou accompagnée – ma fille, Juliette et Manon gardent un souvenir ému d’un aligot et d’une truffade partagés un soir avant de rallier les Cévennes – pour un thé, un goûter, ou un repas. Fin juillet, il était à peine l’heure de dîner, mais la truffade était chaude et l’omelette aux cèpes fondante. Quant à l’assiette gourmande, si savoureusement rustique, elle éclipse ô combien ses sœurs urbaines, avec sa part de tarte aux myrtilles,  sa coupelle de compote de pommes, son fromage blanc avec framboises toutes fraîches, et son pounti aux pruneaux… il faisait beau, c’était au jour déclinant sous le tilleul, et dans la salle basse, immuable, les tables étaient mises.


mercredi, août 7 2013

Ludmilla Oulitskaïa - De Joyeuses funérailles

C’est un livre grouillant et joyeux, où dans la touffeur de New York, été 1991, meurt, gagné par une paralysie progressive de tous ses membres et de toutes ses fonctions, dans son vaste atelier meublé de bric et de broc, le peintre Alik entouré de ses femmes toutes plus dénudées les unes que les autres, et de ses amis. Il y a sa légitime, la blonde Nina évaporée et alcoolique qui a entrepris de le convertir in extremis à l’orthodoxie pour que puissent agir les potions ésotériques de Maria Ignatievna, et puis Valentina à la vaste poitrine, et Irina l’ex-acrobate devenue avocate d’affaire, et encore la fille de cette dernière, Maïka dite T. Shirt, adolescente quasi mutique revenue à la vie grâce à sa rencontre avec Alik. Les scènes au présent se mêlent à des flashes back, entre Russie et USA. Au chevet d’Alik, en ce samedi 17 août 1991 (la date se déduit du Putsch de Moscou évoqué juste après) se rencontrent le naïf et sincère père Victor et le Rabbi Ménaché, qui poursuivront dans le joyeux capharnaüm de l’atelier un débat philosophico-religieux autour de verres en carton de vodka, et parmi tous ces Russes déracinés, une ribambelle de spécimens, blancs, noirs ou cuivrés, des exilés récents ou plus anciens qui peuplent l’Amérique. Une joyeuse bohème porteuse de vie et d’espoir, au-delà de la mort.

Ça se lit bien, malgré la cascade des noms dans laquelle une lecture ensommeillée peut s’égarer. Malgré aussi, mêlées trop souvent aux scènes dialoguées, des sortes de résumés narratifs qui suturent le récit et situent les personnages - trop explicatifs, mal insérés. Malgré enfin, une traduction parfois maladroite, voire, çà et là, fautive. Le texte original est en russe. C’est, malgré ces quelques réserves, un éloge de la vitalité, de la débrouille, de l’amour et de la créativité. D'un très cosmopolite souffle russe, d’un continent à l’autre.

samedi, août 3 2013

Lectures d’été, Dan Franck, Pergaud...

Il y a eu :

Dan Franck, Bohèmes, au Livre de Poche - offert par Sylvain, qui y avait puisé les anecdotes illustrant notre récente balade dans Montmartre. Sous-titré (sur-titré ?) « Les Aventuriers de l’Art moderne », l’ouvrage narre, en trois parties et soixante-huit chapitres, la chronique des artistes début de siècle (1900-1930), de Montmartre à Montparnasse. Autour des figures centrales d’Apollinaire et Max Jacob, de Picasso, de Cocteau, de Kiki de Montparnasse ou de Desnos, du Bateau-Lavoir à la Ruche, du Lapin Agile à la Closerie des Lilas, l’auteur y fait défiler à grand renfort d’anecdotes le tout-Paris bohème des peintres et des poètes, des mécènes aussi comme des inspiratrices, qui ont fait l’histoire de l’art moderne en ce début agité, grouillant, bruyant, braillard et si vivace du vingtième siècle. Tous ces « métèques » qui avaient choisi Paris, pour y ancrer le plus tonitruant présent dans la rencontre et la rupture avec un prestigieux passé. De part et d’autre de la Seine, de part et d’autre de la Grande Guerre.

L’auteur a compilé des dizaines d’ouvrages, mémoires et études, qu’il restitue avec un grand sens de la narration et de la synthèse. Je connaissais bon nombre de ces bohèmes et de leurs aventures sombres ou cocasses, pour avoir quelque peu fréquenté Cendrars ou les Surréalistes, Apollinaire ou Jacques Doucet. J’en ai découvert bien d’autres, parmi lesquels Vlaminck, bien plus créatif et complexe que je ne le pensais, ou l’attachante et douloureuse figure du peintre Pascin.

Bohèmes est le volet documentaire d’un diptyque dont le second volet, que je n’ai pas lu, est un roman, Nu Couché. Le premier né de la césure d’avec le second, tranché dans la documentation pour laisser advenir la fiction. Il y a une suite, Libertad !, que je n’ai pas - encore – lue.


Relu, avec délices, La Guerre des boutons de Louis Pergaud, puis, dans la foulée, De Goupil à Margot, prix Goncourt 1910, dont j’ignorais tout. Un renard, une fouine, une taupe, un écureuil, une grenouille, un lièvre, une pie, tels sont les héros de ce recueil d’ « histoires naturelles » observées et racontées à hauteur d’animal. Tragédies de la vie sauvage, car du lièvre crucifié par les lapins de garenne en quête de territoires neufs à l’écureuil fasciné par l’œil meurtrier du fusil, en passant par la pie captive dans l’obscurité d’une taverne où de grimaçants êtres humains la réduisent à l’abjection de l’alcoolisme, c’est la cruauté, à tous les sens du terme - souffrance et sang versé – qui domine dans ce recueil. C’est magnifiquement observé et senti par ce jeune homme élégant, chapeau, écharpe négligemment rejetée sur l’épaule, œil de loup aigu et rieur, dont la photo figure au dos de ma vieille édition J’ai lu, et qui devait mourir cinq ans plus tard dans l’horreur boueuse des tranchées. Pour autant, le livre a mal vieilli. Son inscription dans la tradition des récits animaliers français depuis le Roman de Renart passe par les noms donnés à ses héros. Et si Goupil relève de la tradition la plus ancienne, si Roussard fait un nom de lièvre honorable, Nyctalette la taupe ne passe guère, en ces temps post NTM, sauf votre respect. Mais surtout, il y a dans ces récits une recherche trop visible de belle langue, avec une surabondance d’adjectifs – pas de substantif qui n’en ait un – qui, pour viser à l’exactitude de la sensation finit pas agacer, avec un souci du mot rare - « hiémal » plutôt qu’« hivernal » - qui sent son post symbolisme, ou décadentisme, de façon trop manifeste, et date.

J’y pensais ce petit matin où j’observais, émue et émerveillée, les escalades, les bonds et les dégringolades de quatre écureuils roux dans le vieux mûrier creux et les yeuses du bassin.


mardi, juillet 23 2013

Que lire ?...

En attendant de rédiger de nouveaux billets, j’en fais remonter quelques anciens, à l’intention des lecteurs et lectrices de l’été.

Thomas Savage, tiens. Je l’ai redit il y a peu : lisez donc Le Pouvoir du chien, et ensuite La Reine de l’Idaho. Outre qu’il s’agit de deux très beaux textes, vous verrez, à la lecture du second, ouvertement autobiographique, comment le matériau de l’histoire familiale s’insère, autrement, mais nettement reconnaissable, dans le tissu de  la fiction romanesque. Comment deux formes se répondent pour affronter, différemment, les démons d’une psyché blessée.

McEwan. C’est beaucoup plus inquiétant, plus noir. Plus pervers, morbide, souvent, comme dans Le jardin de ciment, si brève et si terrible histoire d’enfants, variation urbaine sur Sa Majesté des mouches. La lecture des Chiens Noirs et d’Un Bonheur de rencontre ne laisse pas indemne, et le malaise persiste après la lecture. Mais Expiation  est une merveille, de composition, d’invention, de littérature. Et Sur la plage de Chesil, je crois, un chef d’œuvre. Tout Mc Ewan est ici.

Après quoi, il importera de se décrisper. Et c’est là que Ma Famille et autres animaux – y a-t-il encore des visiteurs de ce blog qui ne l’aient pas lu ?!! – s’impose. C’est extrêmement bien écrit, littérairement c’est beaucoup plus inventif qu’il n’y paraît, et comme c’est drôle ! à lire, seul ou en tribu, à voix haute, le soir, à la fraîche, avec les enfants.

Et puisque l’on est dans les excentriques anglais, pourquoi ne pas revenir au dernier Louis de Bernières : Un Immense asile de fous. Fragments éclatés, sombres ou éblouis, d’un village d’enfance bien plus imaginaire, plus intime, que réel.

Et encore, parce moi, je vais le relire – et quel dommage que le film ne soit pas à la médiathèque ! – Dona Flor et ses deux maris. Roman lointainement familier, dont la saveur me manque.

Voilà pour aujourd’hui, au boulot avant qu'il ne fasse trop chaud, et à bientôt.

jeudi, juillet 18 2013

Quelques lectures, Davoine, Gaudillière, Marzano...

      
J’ai lu :

-          A Bon entendeur, salut ! de Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière, chez Stock. C’est une réflexion, un essai, excentrique jusque dans sa forme à sauts et à gambades, sur les vertus de la lecture de Don Quichotte pour résister à la terreur, à l’abus de pouvoir, aux traumas, à toutes les formes de perversion et de tartufferie. Je ne suis pas certaine d’en avoir savouré tout le suc – je suis même sûre du contraire, ma lecture de Don Quichotte étant trop lointaine, et mes connaissances en psychanalyse trop incertaines. Mais c’est une lecture passionnante, et stimulante, sur les vertus, entre autres, de la fidélité, et du rire.

-          Légère comme un papillon de Michela Marzano, chez Grasset (c’est drôle, pour un ouvrage qui évoque l’anorexie…).   Autre legs, que Pierre a laissé inachevé. Le précédent, il n’a pas eu le temps de le lire.

L’autrice, philosophe, Italienne enseignant et écrivant en français et en France – mais ce livre-ci a été écrit en italien, puisqu’il en est traduit par Camille Paul - utilise dans cet essai (« ouvrage de réflexion marqué par la subjectivité » enseigne-t-on à nos élèves) sa propre expérience d’anorexique pour interroger cette maladie qu’elle préfère considérer comme un symptôme, le discours étouffant qui est tenu sur celle-ci, le rapport au corps et la façon dont il doit être pensé en philosophie, et enfin le rapport à la langue, et la façon dont, dans son cas, le français lui a permis d’échapper à un passé étouffant et douloureux pour aller de l’avant, déchirure fondatrice. Comment aussi, dans l’écriture de ce livre-ci, la « langue paternelle redevenue maternelle » s’est imposée. Il est, en italien, sous-titré « Comment l'anorexie m'a enseigné à vivre ». Pourquoi le sous-titre, si explicite et si provocant, a-t-il disparu en français ?

Tant qu’on essaiera d’expliquer l’anorexie en ayant recours aux catégories analytiques traditionnelles, sa raison profonde nous échappera. Peut-être parce qu’il n’y aura rien à expliquer. Parce que trouver une cohérence dans le fait qu’en semblant choisir la mort on célèbre la vie relève de la folie…

Mais peut-être aussi parce que, à travers certains symptômes, on cherche seulement un moyen de ne pas mourir psychiquement. De ne pas renoncer à son propre « moi ». de ne pas être ce que les autres voudraient nous faire être.

Mieux vaut, en tout cas, les catégories analytiques traditionnelles que certaines des nouvelles théories « révolutionnaires » qui se sont répandues ces dernières années… le sujet sans inconscient, la clinique du vide, les nouvelles formes du symptôme… et ainsi de suite…

Jusqu’à faire passer « les anorexiques » pour des manipulatrices perverses, prêtes à tout pour plonger les autres dans le désespoir.

Qu’on en finisse avec les lieux communs, les banalités, les généralisations, les recettes faciles pour vendre des livres et berner celui qui souffre.

Qu’on en finisse avec le « corps fétiche », le « refus de la féminité », le « rapport symbiotique à la mère »…

[…] Toute époque a ses prophètes. Et la nôtre n’échappe pas à la règle. Et voilà que d’un simple coup de chiffon, on efface tout : l’affect, les émotions, les désirs, la singularité…

On remballe tout ce qui dérange. On cherche une explication unique. Totalisante. Totalitaire. Et une fois la « société » accusée, on se sent plus léger….

C’est un livre touchant, intéressant, stimulant, qui tisse fragments de récits autobiographiques, (avec ce risque de l’impudeur-pour-autrui qui toujours me chiffonne, pour les « autres » dont il est question dans ce livre, le père inflexiblement exigeant, adoré et rejeté, la mère, les amours - mais c’est fait sans complaisance ni exhibitionnisme), avec une réflexion qui, partie de cette anorexie fondatrice, s’interroge, à la toute fin, sur ce que c’est que la relation amoureuse, dans son malentendu originel et son acceptation sans réserve de l’autre.

Livre stimulant et riche donc. A qui je reprocherais, malgré sa sincérité opiniâtre, et son titre, un certain manque de légèreté. Un goût trop prononcé pour l’aphorisme, au détriment des vertus persuasives du sourire et de l’humour. A venir, sans doute, puisque, précisément, il se conclut sur le sourire de son autrice.

Une interview, ici, chez Mollat. Ce visage, et ces mains, qui progressivement s’animent…

J’ai lu encore :

-          Une Vie de racontars, fragments autobiographiques de Jørn Riel

   -          L’heure des Fous, de Nicolas Lebel, un polar chez Marabooks. 

      Je les chroniquerai une autre fois.

Pierre B. Cévennes- Études de cheminées. Encres de Chine

 

jeudi, juillet 4 2013

Corbière - Rondels pour après

                                       PETIT MORT POUR RIRE

Va vite, léger peigneur de comètes !
Les herbes au vent seront tes cheveux ;
De ton œil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes…

Les fleurs de tombeau qu’on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux…
Et les myosotis, ces fleurs d’oubliettes…

Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
Pour les croque-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux…
Ils te croiront mort — Les bourgeois sont bêtes —
Va vite, léger peigneur de comètes !

Tristan Corbière - Les Amours Jaunes, "Rondels pour après"

dimanche, juin 30 2013

Christine de Pizan, ballade


Seulette suis et seulette veux être,
Seulette m’a mon doux ami laissée,
Seulette suis, sans compagnon ni maître,
Seulette suis, dolente et courroucée,
Seulette suis en langueur mésaisée ,
Seulette suis plus que nulle égarée,
Seulette suis sans ami demeurée.

Seulette suis à huis ou à fenêtre,
Seulette suis en un anglet mussée ,
Seulette suis pour moi de pleurs repaître,
Seulette suis, dolente ou apaisée,
Seulette suis, rien n’est qui tant me siée ,
Seulette suis en ma chambre enserrée ,
Seulette suis sans ami demeurée.

Seulette suis partout en tout être,
Seulette suis, où je voise, où je siée ,
Seulette suis plus qu’autre rien terrestre ,
Seulette suis, de chacun délaissée,
Seulette suis, durement abaissée,
Seulette suis souvent tout épleurée ,
Seulette suis sans ami demeurée.

Princes, or est ma douleur commencée :
Seulette suis de tout deuil menacée,

 Seulette suis plus tainte que morée ,
Seulette suis sans ami demeurée.









mercredi, juin 12 2013

Le grand sapin du jardin

Pierre nous a quittés cette nuit. Il n'entendra plus les oiseaux qu'il aimait tant. Lui aussi était une variété de sapin moins solide qu'il n'en avait l'air.

dimanche, juin 9 2013

Deon Meyer - 13 heures

Voilà ce qui arrive quand on met le nez dans un roman de Deon Meyer, et qu’on veut le terminer pour ne pas avoir à y revenir le lendemain. Le roman qui précède celui qu’on a lu avant, bref, 13 heures,  qui précède Sept Jours, que je viens de chroniquer. Eh bien, 13 heures, c’est absolument palpitant. Il faut dire que Deon Meyer est particulièrement doué pour les histoires d’affût, de chasse, de traque, avec pour proies des êtres humains. Cette fois, c’est une jeune Américaine éperdue mais lucide et pleine de vitalité qui fuit, méthodiquement, pendant des heures et des heures, autour du Cap, puis dans les faubourgs de la ville, traquée par de jeunes tueurs déterminés, un flic, un type armé de jumelles… elle s’appelle Rachel Anderson et son amie Erin Russell a été égorgée pendant la nuit. Et puis il y a l’autre meurtre, celui d’Adam Barnard, le mari d’Alexa alias Xandra, que j’avais rencontrée dans Sept Jours. Mais Benny Griessel, lui, l’a rencontrée dans ce roman-ci. Comme les deux filles sont étrangères, tous les flics du Cap sont sur l’affaire, Benny en tête.
Je n’en dirai pas plus, parce qu’il est vraiment très tard – ou très tôt. Mais pour qui a des envies de polar, celui-ci est particulièrement recommandable. Il me reste un mystère, cependant. Deon Meyer - c’est écrit dans la petite bio en exergue du roman - est un écrivain de langue afrikaans. Et le roman est traduit de l’anglais. Ça doit se faire sur place en Afrique du Sud, avec l’aval de l’auteur, le passage à une langue plus internationale, avant la diffusion. C’est bizarre, mais sans doute plus pratique. Quant au « lendemain », las, c’est aujourd’hui même, et il est grand temps que je dorme, si je veux être un peu efficace, tout à l’heure…

N.B. : "Treize heures", c'est la durée de la quête et des enquêtes : la quête de la jeune fille disparue, les enquêtes sur les deux meurtres, où l'on rencontre Mbali (et où on la comprend mieux qu'en débarquant direct dans Sept Jours), plus quelques autres flics "récurrents", sans parler des soucis personnels, familiaux et sentimentaux de Benny, et en outre quelques précisions sur l'accent afrikaans et son chuintement caractéristique.

vendredi, juin 7 2013

Deon Meyer - Sept Jours

Il y a des moments où l’on éprouve le désir de plonger sans réserve dans un bon thriller, histoire de s’abstraire absolument de toutes les pressions qui s’accumulent. Et où il est bien difficile de passer jour après jour devant le dernier pavé de Deon Meyer, Sept jours, abandonné sur la table du salon. Il suffit alors d’un soir où l’on rentre un peu plus épuisée que d’habitude – oh cette classe de 1ère L où il est si difficile de susciter des échos ! -, d’un peu de soleil vespéral au dehors, du confort du canapé rouge et du vieux châle bariolé, et l’on cède. Enfin « on » - je. Bilan, une soirée en Afrique du Sud, et l’abolition du monde extérieur, jusqu’à l’endormissement final, après dévoration expresse des derniers chapitres pour arriver enfin à la solution de l’intrigue… tellement expresse que le réveil s’est fait sous forme de point d’interrogation : voyons, comment se relie, déjà, l’arrestation du sniper avec la découverte de l’assassin ?

Où l’on comprendra que Sept jours est un très efficace polar, même si j’ai retrouvé le sentiment, ici évoqué à propos du Pic du Diable, que le dénouement (le fameux lien) est un peu forcé, ou expédié. Quoi qu’il en soit, on y retrouve aussi, comme enquêteur principal, Benny Griessel, l’inspecteur alcoolique en cours de rédemption, parvenu au début du roman à 227 jours de sevrage total. Il a aussi été promu à la DPCI (Direction des enquêtes criminelles prioritaires), dont les membres sont appelés les Hawks (les faucons). J’ai eu un peu de mal, d’ailleurs, avec les sigles et autres acrostiches, car il y a aussi les CATS, le SAPS, et que sais-je encore…. De même du coup qu’il est difficile de se repérer dans la multitude des personnages d’officiers de tel ou tel service, mais on s’y fait. Je suppose enfin que les choses eussent été pour moi plus claires si j’avais lu Treize Heures, le roman précédent, où Benny a rencontré la femme dont il est amoureux, la chanteuse Alexa, alias Xandra Barnard.

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mardi, juin 4 2013

Erri De Luca - Les Poissons ne ferment pas les yeux

Il y a une phrase que je ne comprends pas dans Les Poissons ne ferment pas les yeux, le dernier récit d’Erri De Luca - qui est le premier que j’aie lu. Il doit y avoir à peu près tout de lui, à la maison, mais je ne l’ai pas lu. J’ai toujours aimé l’écouter. Son français chantant, ses « r » roulés, sa voix douce. Il était hier chez Kathleen Evin, et le bouquin sur la table du salon.

Voici la phrase : « Après ces plages d’enfance, aucun tropique, l’Océanie m’a attiré. L’île a comblé mon désir de cet ailleurs. »

Je ne comprends ni la syntaxe, ni le sens. L’Océanie est entre les deux tropiques. J’ai l’impression de comprendre que cette île de l’enfance (Procida ? Ischia ?)  l’a détourné d’aller explorer l’Océanie ou quelque île exotique que ce soit. Que cette île de l’enfance a été pour lui plus intense que tous les tropiques. Mais ce n’est pas ce que dit la phrase. Je ne saisis pas le lien grammatical – ni même l’absence – entre ses divers éléments.

C’est un tout petit livre. Une histoire de rencontre entre deux enfants, lui, un garçon au corps trop petit pour son âme, elle, sagace et impérieuse, qui sait tout des animaux.
C’est un tout petit livre, chez Gallimard « Du Monde Entier », dont je n’aime, encore, ni la photo de jaquette, ni la quatrième de couverture, bien trop longue, bien trop précise, pour un si mince ouvrage. Il faudra un jour que j’écrive ma hargne contre les quatrièmes de couverture, qui galvaudent la substance des livres, et, pour le lecteur passionné, les flétrissent.

J’en extrais ces quelques lignes, où il est question d’Océanie, justement. La phrase citée plus haut suit le passage de quelques paragraphes.

« Le soir, je lis un livre acheté par mon père, des histoires d’Anglais dans leurs colonies de l’Océan Indien. Il y a des crimes, mais on n’a pas à découvrir l’assassin. J’ai recopié une phrase : ‘‘ Le remords ne tourmente pas ceux qui s’en sont bien sortis .’’ Aujourd’hui, je sais qu’elle est vraie. Alors, elle fut la secousse qui ébranla mes notions religieuses. Le remords, la confession, étaient les conséquences inévitables du crime. Le livre disait au contraire que ceux qui s’en tirent bien ne gardent aucune séquelle de souffrance. Il existait une variante selon laquelle le crime n’impliquait aucun poids. Ce fut une secousse souterraine. En lisant, on rencontre des phrases sismiques. »

C’est vrai. Pour moi, l’une d’entre elles, j’en ai parlé il y a peu, était « Mange, ou sois mangé ». C’était dans Croc Blanc, je devais avoir six ans. C’est drôle, pourquoi ?

samedi, juin 1 2013

Relecture : Thomas Savage, La reine de l'Idaho

Ce n’est pas que l’on manque de livres à la maison. Ni que j’aie lu tout ce que soutiennent et recèlent dans un ordre relatif les étagères, les appuis de fenêtre, les escaliers, les diverses chambres. Ni d’ailleurs que j’aie le temps de lire, en ce moment. C’est pourquoi Aurélien en édition de la Pléiade emprunté à la bibliothèque avec son énorme notice en postface et ses kilomètres de notes (pour lesquelles je l’ai emprunté, précisément), c’est pourquoi donc Aurélien attendra des temps moins occupés. C’est pourquoi aussi sans doute j’ai attrapé hier sur le dossier du canapé La Reine de l'Idaho, récemment rendu par Odile. Si la fatigue m’a empêchée de tout lire avant de m’endormir, il y a eu aujourd’hui deux salles d’attente, et un peu de soleil…

Après relecture, et avant de rédiger cette note, je suis allée relire aussi ce que j’en avais écrit, il y a plus de cinq ans, ici même. J’y parlais d’« urgence » à lire, et à propos du Pouvoir du chien, de « gratitude ». Eh bien, tel est exactement l’effet que m’a fait cette relecture. Le bonheur de ces textes qui résistent à la redécouverte, dont la surprise se renouvelle, dont l’écriture donne un tel sentiment de justesse. D’où la question, posée aux deux libraires : pourquoi seuls trois romans parmi les treize écrits par Savage sont-ils traduits en français ? si Savage, couronné de prix aux USA –

  • Honorary M.F.A. from Colby College, 1952
  • Guggenheim Fellowship, 1979
  •  Pacific Northwest Booksellers Association Award, 1989 for The Corner of Rife and Pacific -

si Savage donc est « considéré comme un classique », pourquoi diable Belfond n’en fait-il pas traduire d’autres ? En voici la liste, pêchée sur wikipedia en anglais :

  •  The Pass (1944)
  • Lona Hanson (1948)
  • A Bargain with God (1953)
  • Trust in Chariots (1961)
  • The Power of the Dog (1967) – Le Pouvoir du Chien
  • The Liar (1969)
  • Daddy's Girl (1970)
  • A Strange God (1974)
  • Midnight Line (1976)
  • I Heard My Sister Speak My Name (1977) (now published as The Sheep Queen) – La Reine de l’Idaho
  • Her Side of It (1981)
  • For Mary with Love (1983)
  • The Corner of Rife and Pacific (1988) – Rue du Pacifique

Pourquoi encore La Reine de l’Idaho est-il épuisé, et trouvable seulement d’occasion sur un site de vente sur la toile, de 3 à 88 euros !!!!

-    Écris à Belfond, m’ont dit les libraires.

-   J’écris ici, en attendant. Lisez Savage, et faites-le connaître.

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lundi, mai 27 2013

Ronsard - Bel aubépin

Je profite de l'unique journée ensoleillée du printemps pour saluer de Ronsard le bel aubépin, croisé de l'autre côté de la rivière...


Bel aubépin, fleurissant,
     Verdissant
Le long de ce beau rivage,
Tu es vêtu jusqu'au bas
    Des longs bras
D'une lambruche sauvage.

Deux camps drillants[1] de fourmis
      Se sont mis
En garnison sous ta souche.
Dans les pertuis[2] de ton tronc
      Tout du long
Les avettes[3] ont leur couche.

Le chantre rossignolet
      Nouvelet,
Courtisant sa bien-aimée,
Pour ses amours alléger
      Vient loger
Tous les ans en ta ramée.

Sur ta cime il fait son nid
      Tout uni
De mousse et de fine soie,
Où ses petits écloront,
     Qui seront
De mes mains la douce proie.

Or vis gentil aubépin,
      Vis sans fin,
Vis sans que jamais tonnerre,
Ou la cognée, ou les vents,
      Ou les temps
Te puissent ruer par terre.

Ode IV, 22 in Nouvelle Continuation des Amours



1 Littré (1880) : Courir, aller vite et légèrement.
Je m'en vais tout de bon promptement t'étriller, / Si tu ne fuis bien vite et ne pense à driller (Hist. du théâtre français, t. X, p. 117, dans Lacurne)
vb tombé en désuétude.
Étymologie :
L'origine en paraît être le verbe anglais to drill, qui signifie percer, s'échapper.Driller avait aussi le sens de briller : Comme le feu dans la fournaise, /Enseveli dessous la braise, /Drille et flamboie étincelant(R. Belleau - Œuvres, t. I, p. 20, dans Lacurne)— On ne voit point au ciel tant d'étoiles flambantes/ Driller au firmament... (Ronsard) (on a confondu briller et driller).

[2]
Orifices
[3]
Abeilles

Brouillages - Jon Hallur Stefansson

Je préfère Kalman à Hallur, bien qu’ils aient le même traducteur. C’est même tellement incomparable que je regrette d’avoir eu la curiosité d’explorer l’œuvre du second. Il me fallait un polar, histoire de lire en vitesse quand même un peu autre chose que les œuvres requises par le travail en classe. (L’Enfant, de Vallès au demeurant, un de ces romans-compagnons qui m’accompagnent depuis l’enfance, et passionnant à étudier). Aussi ai-je embarqué de ma visite hebdomadaire à la librairie Brouillages, de Jon Hallur Stefansson, le titre étant sans doute ce qu’il y a de plus pertinent dans l’ouvrage. Un polar islandais, traduit par Eric Boury, toutes les garanties de qualité y étaient.

Eh bien je n’ai pas aimé ce roman. Je m’y suis embrouillée dans l’avalanche des prénoms des très nombreux personnages – égarée en outre au début par la proximité littérale entre Björn, l’architecte séducteur, et Björg, sa fille. Le roman alterne, chapitre après chapitre, les points de vue de différents personnages, sans qu’un véritable « inspecteur » - il y en a deux, Valdimur et Haflidi, pas super clairvoyants, c’est là qu’on se rend compte que la figure de l’enquêteur est essentielle pour la cohérence du roman – ne se détache pour relier entre eux les fils. Il y a des invraisemblances manifestes (le pull-over oublié par Sunneva, par Marteinn, par Valdimur, qui constitue quand même un indice particulièrement voyant !). Et puis l’emboîtement des pièces du puzzle a quelque chose de trop systématique. Je n’avais certes pas vu venir du tout le dénouement de l’intrigue – et à ce titre le premier chapitre joue un rôle particulièrement délusoire – mais je ne suis pas sûre non plus d’y avoir entièrement cru. Certains personnages, comme Hildigunnur, la très belle mère de Sunneva et épouse de Gunnar, ou Björg, acquièrent une épaisseur qui ne leur permet pas pourtant d’exister jusqu’à la fin du roman, où ils s’évaporent. Il y a l’improbable « garçon de porcelaine », artiste en meurtres… et toutes sortes de non-dits et de rancœurs – d’ailleurs bien vus - entre des adultes trop libres ou trop coincés et des adolescents égarés. Bilan, une plongée dans des abîmes de la psyché humaine, sous la conduite retorse d’un auteur certes habile, mais non virtuose. Je n’y ai pas, humainement ni intellectuellement, trouvé mon compte.

dimanche, mai 26 2013

Jorge Amado - Dona Flor et ses deux maris

Ça parle cuisine brésilienne et cachaça sur France Inter. Personne ne citera donc cette merveille de roman enjoué qu’est Dona Flor et ses deux maris ? Dona Flor, sémillante grande prêtresse de l’École Culinaire Saveur et Art, dès l’ouverture du roman veuve éplorée de Vadinho, grand amateur de cachaça et mort en plein carnaval, déguisé en bahianaise.
Je n’ai jamais pris le temps d’évoquer ici les romans de Jorge Amado - la façade colorée de sa maison orne, depuis combien d’années ? la porte de mon frigo, envoyée un jour par Laurence. Il faudrait en vérité que je prenne le temps d’en relire quelque peu, mais comme littérature reconstituante, Amado, c’est une mine. Il fut un temps où il était dans la zone « prêt public » de la bibliothèque Carnegie de Reims, et il fallait vraiment bien viser pour trouver un de ses romans sur les rayonnages. Signe infaillible d’une œuvre populaire, au meilleur sens du terme, où les insertions de recettes (toujours la plasticité du roman !) pimentent et ensoleillent la lecture, sans commune mesure avec les recopiages de catalogues divers de mobilier et autres décos des romans à la mode, ce n’est pas du Marc Lévy !


Voici donc : 

-          Les sous-titres :

Ésotérique et émouvante histoire vécue par dona Flor, professeur émérite d’art culinaire, et ses deux maris, le premier surnommé Vadinho, le second, le docteur Teodoro Madureira, pharmacien de son état.

                                              ou
 

La terrible bataille entre l’Esprit et la Matière, contée par Jorge Amado, écrivain établi dans la quartier de Rio Vermelho, dans la ville de Salvador de Bahia de tous les saints, aux alentours du largo de Sant’Ana, où demeure Yemanjá, déesse des eaux.

 -          Les épigraphes :

Dieu est gros
(révélation de Vadinho à son retour)

La terre est bleue
(Gagarine l’a confirmé après le  premier vol spatial)

Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place
(Sentence écrite sur le mur de la pharmacie du docteur Teodoro Madureira)

 

 

Ah !
(soupira dona  Flor).

 

 

 -          et enfin le premier intermède culinaire, à l’orée du roman :

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lundi, mai 20 2013

Quand la pluie étalant ses immenses traînées....


          Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Charles Baudelaire – Les Fleurs du Mal, Spleen et idéal, LXXVIII



Intarissablement, le ciel gris, au ras des toits, déverse une pluie froide, verticale, lourde, incessante. Dans le jardin reverdi, les poiriers, puis les pommiers n’ont pas eu le temps d’épanouir leurs belles fleurs blanches ou rosées aux rayons du soleil. Elles jonchent, tristement, la pelouse. Voici venu le tour de celles, délicates, du cognassier.  Les lilas courbent leurs grappes sous le poids des gouttes, toute la végétation, en écho à l’humeur des hommes, semble déprimée, et la promesse des fruits s’amenuise. Et pas d’asperges, samedi, au marché ! trop froid. Je pense, sans avoir pu le retrouver, à l’univers détrempé et inquiétant des Saisons, de Maurice Pons, où, avant le grand gel de l’hiver, il pleuvait ainsi, intarissablement.

dimanche, mai 19 2013

Jos Houben !

Il est sur Eclektik de Rebecca Manzoni, en ce moment même. Et au Théâtre du Rond-Point depuis vendredi et jusqu'au 15 juin.

J'en ai parlé, il y a deux ans, ici. C'est un spectacle délectable d'intelligence, de rythme, et si authentiquement drôle, sans une ombre de cette méchanceté contemporaine qui se croit comique. Courez-y !

Le site officiel est ici.

"J'entends la vie, je suis très content". C'est ainsi que se clôt sa "minute de solitude" de fin d'émission, enregistrée à l’École Jacques Lecocq.
La gratitude, aussi, est contagieuse.

dimanche, mai 5 2013

Balade normande

Fantaisie

Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !

Gérard de Nerval  - Odelettes in Petits Châteaux de Bohême (1853)

          L’un naissait au moment où l’autre touchait à la fin de sa vie douloureuse, troublée, « illuminée ».  L’un, c’est Guy de Maupassant, né, cela semble confirmé, au château de Miromesnil en Seine-Maritime, l’autre, c’est Nerval, dont la Fantaisie m’a trotté dans la tête alors que je me promenais, dimanche passé, par une belle et fraîche journée de printemps, dans les salles du rez-de-chaussée, le jardin potager, et le parc dudit château. En fait de coteau, on est sur un plateau, et point de rivière dans les parages, mais un saut-de-loup - ou haha, ( !), terme adopté par les Anglais -, dont j’ai découvert ce jour-là le sens et la physionomie, entre le bois et le parc, côté sud.

C’est un bien joli château, qui m’a évoqué aussi un des films de la série télévisée « L’Ami Maupassant », de Claude Santelli, - dont tous les épisodes que j’ai vus m’ont semblé parfaits (qu’attend-on pour la rééditer in extenso ? Je les préférais infiniment aux quelques « Chez Maupassant » honorables-sans-plus récemment produits par France 2). C’était Madame Baptiste (1974), une très sombre et saisissante histoire de fille de famille violée par un valet, qui m’avait beaucoup frappée, avec Isabelle Huppert dans un de ses tout premiers rôles, et un Roger Van Hool des plus séduisants. Il semblerait que là n’ait pas eu lieu le tournage, et pourtant sa physionomie, ses dépendances, ont fait ressurgir en moi les lointaines images du film.

Quelques images donc, en guise de promenade dominicale, dont celle prise à travers la grille hérissée qui évoque à la fois un bouquet de Saint Eloi, et, beaucoup plus rustique, l’arbre-aux-voyelles de Giuseppe Penone, au Luxembourg, autre promenade récente, autre réminiscence de Nerval.



















jeudi, mai 2 2013

Back to Jack London - L'Aventureuse

J’ai adoré lire – et presque aussitôt relire, faute de munitions – L’Aventureuse de Jack London, trouvé, lui aussi, sur les étagères de ma nièce. Relire, incontinent, et avec un plaisir égal. Il y avait si longtemps que je n’avais pas remis le nez dans London, dont Croc-Blanc a été, je crois, ma première lecture de « grande ». Il y avait très peu de livres pour les enfants chez nous, et à peine ai-je su lire que je suis passée de quelques albums illustrés – une histoire de castor, une histoire de courlis et de poupée de paille - à Alice au Camp des Biches. Après la déception d’un livre sans images, le frisson de l’aventure, de l’enquête, et des mots inconnus, « masure, bicoque, avoué, course contre la montre »... J’étais ferrée. Croc-Blanc, c’était juste après, chez Hachette ‘Idéal Bibliothèque’. Un cartonnage étoilé sous la jaquette illustrée d’un attelage de chiens de traîneau, avec trappeur. Peu d’images, typographie minuscule pour une toute jeune lectrice, et je m’en souviens comme si c’était hier, les considérations sur la loi du Wild (comment lire ce mot étrange ?), très vite apprise par le louveteau : « Mange ou sois mangé ».  Ça m’avait frappée, je crois que j’y découvrais, tout simplement, la fonction éducative du roman. Et l’immensité, la variété, la diversité du monde. J’en ai lu bien d’autres, et puis, entre la 4ème et la 3ème, à la bibliothèque du lycée Montgrand, d’énormes volumes des œuvres complètes. Il m’en reste, entre autres, l’image saisissante d’un brutal marchand d’esclaves, sur les îles lointaines de l’Océanie (peut-être les îles Salomon, encore ?), littéralement écorché vif de la tête aux pieds par ses esclaves avec le gant de peau de requin abrasive qu’il utilisait pour les châtier, et s’écroulant, en plein soleil, dans le sable. Une image de la cruauté absolue. Je ne sais plus du tout quel était le titre de cette nouvelle.   

Bref, L’Aventureuse - en anglais, Adventure, ce qui met l’accent sur l’action plus que sur le personnage féminin. Car il y a deux héros dans ce roman très exotique, qui se déroule aux îles Salomon, dans les premières années du XXe siècle. Sheldon, un planteur anglais, dont on ne connaîtra pas le passé, au début du roman brûlé par la fièvre au milieu de sa plantation pleine d’ouvriers eux aussi malades, mais surtout terriblement frustes et passablement inquiétants puisque cannibales. Et puis, surgie des eaux telle une moderne Vénus, la jeune et insaisissable Joan Lackland, une Américaine rompue à tous les exercices physiques et au sens pratique ultra-développé. C’est un roman d’aventures qui, à travers ses personnages eux-mêmes, s’interroge sur l’aventure et sur le romanesque. Car  si  Joan en est grande amatrice, l’expérience de la vie aux îles va la conduire à quelques ajustements parfois douloureux, alors que Dave, qui au départ se pense un homme pratique, va se laisser gagner, troubler, séduire par le bouleversement apporté dans sa vie par cette lumineuse jeune femme.

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mercredi, mai 1 2013

Il y avait à Montmartre...

« Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d'Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé. Il portait un binocle, une petite barbiche noire, et il était employé de troisième classe au ministère de l'Enregistrement. En hiver, il se rendait à son bureau par l'autobus, et, à la belle saison, il faisait le trajet à pied, sous son chapeau melon.

Dutilleul venait d'entrer dans sa quarante-troisième année lorsqu'il eut la révélation de son pouvoir. Un soir, une courte panne d'électricité l'ayant surpris dans le vestibule de son petit appartement de célibataire, il tâtonna un moment dans les ténèbres et, le courant revenu, se trouva sur le palier du troisième étage. Comme sa porte d'entrée était fermée à clé de l'inté­rieur, l'incident lui donna à réfléchir et, malgré les remontrances de sa raison, il se décida à rentrer chez lui comme il en était sorti, en passant à travers la muraille. Cette étrange faculté, qui semblait ne répondre à aucune de ses aspirations, ne laissa pas de le contrarier un peu et, le lendemain samedi, profitant de la semaine anglaise, il alla trouver un médecin du quartier pour lui exposer son cas. Le docteur put se convaincre qu'il disait vrai et, après examen, découvrit la cause du mal dans un durcissement hélicoïdal de la paroi strangulaire du corps thyroïde. Il prescrivit le surmenage intensif et, à raison de deux cachets par an, l'absorption de poudre de pirette tétravalente, mélange de farine de riz et d'hormone de centaure.

Ayant absorbé un premier cachet, Dutilleul rangea le médicament dans un tiroir et n'y pensa plus. » ...


 

samedi, avril 27 2013

Six ans aujourd'hui...

"Tandis que les liserons des champs, bien que ce soient de mauvaises herbes, étaient les fleurs les plus intelligentes et les plus gaies. Ce sont elles qui accueillent le mieux le soleil du matin. Les autres herbes ne comprennent rien, le matin, le soir, tout ça leur est égal. Tandis que les liserons, dès qu'un rayon vient les réchauffer, ils ouvrent les yeux et ils rient. Un œil d'abord, puis le second, et l'un après l'autre, tous leurs cornets s'ouvrent. Blancs, bleu très clair, mauves, de toutes les couleurs... Si tu restes près d'eux sans bouger et sans faire de bruit, il te semble qu'en s'éveillant, ils se chuchotent des histoires. Même les fourmis le savent. Le matin, elles courent le long des liserons, clignent dans le soleil et écoutent ce que se disent les fleurs. Et si elles se racontaient leurs rêves? "

Quelques lignes d'hommage de Tchinguiz Aïtmatov, auteur kirghiz, pour saluer le sixième anniversaire de mon liseron, dont l'opiniâtreté me réjouit. Je mettrai des images lorsque j'aurai résolu mes problèmes d'ordinateur, une autre fois...

Voilà qui est fait...

mercredi, avril 24 2013

Y a d'la joie... et des sourires au creux des pages

Vous souffrez de mélancolie, marasme, morosité, neurasthénie, sombreur (si, si !), vague à l'âme, maussaderie, bile noire ou atrabile, déprime, langueur, bourdon, taedium vitae, tristesse, chagrin, ennui, angoisse, abattement, cafard, navrance…. de spleen, quoi ! Pour tenter d’y remédier, ouverture aujourd’hui d’un « tag » (une étiquette) « Ouvrages reconstituants ». J’ai collationné les chroniques à la va-vite, il se peut que j’en ai oublié, et encore n’y ai-je pas intégré les films et les pièces de théâtre. Ça viendra sans doute, et en attendant, il y a quelques milliers de pages - parmi lesquelles il en est que j'aime bien plus que d'autres - susceptibles de redonner le sourire et le goût de la vie aux plus désespérés.Que votre cueillette soit fructueuse ! Avec le printemps renaissent, bonnes ou mauvaises, les herbes nourricières.

Camus - L'Etranger, en images

L’Étranger de Camus dans la version graphique de Jacques Ferrandez est sorti ! Il a été évoqué à l'émission L'Humeur Vagabonde de Kathleen Evin sur France Inter, hier soir. Ecoutez-la, ce type est passionnant, et l'émission, de la belle ouvrage.

On peut en feuilleter quelques pages ici, sur le site de Gallimard.

Charles Williams - Et la mer profonde et bleue

Non que la lecture de Et La Mer profonde et bleue  soit reposante. Mais quel passionnant thriller ! du genre qu’on est obligé(e) de lâcher de temps à autre pour reprendre – entre meurtres, incendie, espionnage, grains, noyades et autres naufrages – un peu de souffle. Harry Goddard, un yachtman naufragé au grand large des Philippines est recueilli sur un cargo, grâce à l’effet conjugué d’une panne et du regard perçant de l’une des deux passagères – sortie de sa cabine exaspérée par les rugissements d’amour de l’autre passagère. Le reste des occupants du bateau, équipage et passagers, est masculin. Il y a un capitaine falot et bigot, et un second, solaire et sarcastique. Et bien vite, on le comprend, des séquelles très toxiques du nazisme. Les termes de navigation y sont très abondants, témoignant des compétences de l’auteur en ce domaine – lexique suit.

Quant à l’histoire, elle est presque tout entière contée à travers le regard de Goddard (les deux ou trois décrochages de sa perspective sont des maladresses, à mon sens), et de façon tellement cinématographique que c’est à se demander si Williams n’espérait pas voir le roman se transformer en scénario. Goddard, d’ailleurs, est producteur de cinéma. Je n’avais lu de Charles Williams que Fantasia chez les ploucs (The Diamond Bikini, avec le liseron bleu tatoué sur le sein de Miss Harrington), dont j’ai dit ici même, il y a bien longtemps – six ans, ou quasi ! – tout le plaisir que j’avais pris à sa lecture, et Aux Urnes, les ploucs, dont j’ai tout oublié. Je ne connaissais pas sa veine sérieuse. Ce roman maritime, l’avant-dernier avant son suicide sur la mer (ah, eh bien, non, d’après wikipedia, vois-je, c’est une légende. Wikipedia où l’on apprend que l’auteur était, quant à lui, scénariste !), est en tout cas une excellente lecture, de TGV ou d’ailleurs.

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