L’histoire de la bande dessinée.

Posté par JF

Depuis deux siècles, de Monsieur vieux-bois à Corto Maltese, du Japon à la Belgique, la bande dessinée est l'une des « pratiques culturelles » les plus répandues et les mieux partagées dans le monde.

Il est néanmoins presque impossible de définir où et quand est née la bande dessinée tant les définitions qu'on lui donne sont variées. En même temps, il ne viendrait à l'esprit de personne de chercher à déterminer la terre d'origine de la littérature, de la musique ou de la peinture, ces disciplines étant considérées par essence comme des arts universels.

La bande dessinée ne fait pas exception. Plusieurs essais se sont interrogés sur la filiation de la bande dessinée avec des œuvres aussi anciennes que les dessins organisés en séquences tracés par les nomades du paléolithique,

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le codex maya, la colonne trajane,

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la tapisserie de Bayeux

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ou les enluminures de l’art  médiéval.


Toutefois, la plupart de ces récits structurés en séquence d'images, bien qu'annonçant peut-être la bande dessinée, ne sont pas moins dépourvus pour la plupart de textes.

Or comme nous avons vu dans un billet précédent, c'est le caractère hybride de la bande dessinée qui nous semble déterminant pour la définir.

De plus il y a un événement qui domine l'histoire de la BD, tout comme l'histoire de l'écriture : l'invention de l'imprimerie. Avec cette invention, ce qui était réservé aux riches et aux puissants devenait accessibles à tous.

C'est donc beaucoup plus tard qu'il faut essayer d'envisager la naissance du neuvième art dans son acception moderne. Apparue parallèlement au cinéma et à la photo, tout au long du XIXe siècle de nombreux dessinateurs ont préparé l'émergence de la bande dessinée moderne.

Nous allons ici tenter d’aborder un rapide résumé des étapes de cette histoire par bonds successifs, résultats de choix forcément critiquables, mais réalisés dans le but de donner un aperçu suffisamment clair:

Les précurseurs :

On se sent obligé de citer l’Anglais William Hogarth qui au milieu du XVIIIe siècle conçoit la littérature dite d’estampes (« La vie d’un libertin » 1735) qui va inspirer quelques années par la suite son compatriote Thomas Rowlandson qui sera le premier à encercler des dialogues dans des ballons raccordés à la bouche des personnages (« Dr Syntax » 1812)

En 1814, au Japon, le peintre Hokusai innove en présentant certaines pages de ses croquis, dont quelques caricatures, dans des cases accompagnées de texte. L'œuvre prend le nom de Manga, qui en japonais veut dire « image maladroite », ou « caricature ». Le terme désignera plus tard la bande dessinée japonaise.
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Hokusai, Lutteurs s'échauffant, publié dans Hokusai Manga, 1814.

Dès la fin du XVIIIe siècle, l'Imagerie d'Epinal commence à diffuser de petites vignettes narrant des sujets populaires, non seulement des images pieuses, mais aussi des comptines, des devinettes, des épisodes de l'histoire de France, etc. De 1870 à 1914, ce sont plus de 500 millions de planches qui sont vendues !

Mais on s’accorde en générale à reconnaître avec le Suisse Rodolphe Töpfer, qui eut l'idée en 1827 de dessiner des aventures en inscrivant une légende sous ses dessins comme l’inventeur de la BD. Ses manuscrits enthousiasmèrent même Goethe mais surtout ils furent publiés. (« Les amours de monsieur Vieux-Bois » 1833).

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Très vite publiées en France, ses histoires vont inspirer de grands artistes comme Nadar lui-même avant qu’il ne se tourne vers la photographie, Gustave Doré ou bien encore un dessinateur nommé Caran d'Ache. En Allemagne est créée la série "Max und Moritz", dessinée par W. Busch, et qui a influencé de très nombreux auteurs.

L’apparition d’un genre nouveau :

Certaines revues comprennent très vite l'intérêt d'ouvrir leurs pages à ces publications d'un genre nouveau. Aux Etats-Unis, les dessinateurs employés par les hebdomadaires sont débauchés par les grands quotidiens. Dans la guerre que se livrent par exemple le New York World et l'Evening Journal les "strips" (fractions de page sous forme de bandes de quelques images) sont un argument de poids. Le premier quotidien publie en 1896 la série de Richard Felton Outcault : " At the circus in hogan's Alley", vite rebaptisée "Yellow Kid" à cause du personnage récurrent. C'est la première véritable B.D., par le découpage des images et l'apparition des bulles de dialogue.

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A noter que cette primauté est revendiquée également par l’œuvre de l’anglais Henry Ross et Marie Duval (française de son vrai nom Emilie Tissier) (« Iky Mo and Ally Sloper ») qui cumule plusieurs «1ers » : 1er héros récurrent, 1ére publication régulière dans un magazine, 1er héros à avoir par la suite son propre périodique et 1ére histoire (et pendant longtemps la seule) illustrée par une femme.

Arrive ensuite d'autres garnements l’année suivante : "The Katzenjammers Kids", en français "Pim, Pam, Poum" (de R. Dirks).

En France, la presse illustrée, surtout enfantine, se développe rapidement au début du siècle, orientée vers un public populaire mais également vers un lectorat plus bourgeois. Précurseur, "le petit français illustré" publie "la famille Fenouillard" de Georges Colomb en 1890.

Toutefois aussi bien "l'illustré", que "l'épatant" ou "la semaine de Suzette" et "l'écho de Noël" restent réfractaires à cette nouvelle forme de narration qui utilise les bulles, préférant encore les récits illustrés (légendés, sans bulles).En 1905, la semaine de Suzette proposera par exemple les aventures de Bécassine. "l'Epatant" publiera néanmoins en 1908 les tribulations d'un trio de petits malins, les "Pieds Nickelés".

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Lente gestation de la BD (1920-1929)

Les Américains découvrent les bénéfices financiers que peuvent apporter les B.D., en termes de vente des journaux mais aussi de produits dérivés et de dessins animés. Les revues spécialisées ou faisant appel aux B.D. se développent alors aux U.S.A., en Grande-Bretagne, en Italie... Pendant cette période, les séries américaines ont un caractère humoristique, d'où le nom de "comics" qu'elles conserveront, elles sont souvent toutefois destinées aux adultes.

Citons, entre autres "Little orphan Annie" de H. Gray.

En Europe, on s'adresse plus souvent à des enfants et on salue l’introduction des premières bulles avec quelques héros modernes, comme Zig et Puce (1925) de Alain Saint-Ogan ou Tintin qui font une timide apparition dans les suppléments jeunesse de grands journaux.

Quelques précisions sur la naissance d’une des figures emblématiques du 9e art. L'abbé Wallez, directeur du journal « le XXème siècle », crée un supplément hebdomadaire destiné à la jeunesse. Il en confie la rédaction à un de ses employés, Georges Rémi (pseudo Hergé ), celui-ci décide en 1929 de reprendre un personnage qu'il avait dessiné auparavant en boy-scout : un simple rond pour la tête, un petit nez, deux points pour les yeux, d'en faire un grand reporter et de lui adjoindre un fox-terrier, Milou. Jusqu'au dernier tome "Tintin et les Picaros", en 1975 et à la mort d'Hergé en 1983, Tintin est devenu une légende, ayant parcouru le globe entier, combattant des trafiquants et des dictateurs.

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1930 – 1950 : l’âge d’or des comics :

L’Amérique bouge plus vite que l’Europe avec la création de grands personnages comme Dick Tracy (1931), Flash Gordon ou Mandrake (1934). En juillet 1934, sort « Famous Funnies » considéré généralement comme le premier comic book. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la bande dessinée continue de séduire un jeune et large public à travers de nouveaux périodiques (Cœurs vaillants, journal de Spirou). De l’autre côté de l’Atlantique les premiers super-héros prennent leur envol : Superman (1938) , Batman (1939).

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Pendant le conflit mondial, les super-héros américains se font les « porte-drapeaux » du monde libre. Quelques périodiques européens tentent péniblement de se tenir à flot. Dés la Libération, la bande dessinée franco-belge renoue avec le succès. En Belgique et en France, parmi les parutions d'après-guerre, 3 revues vont bouleverser le paysage du 9ème art et lancer un nombre impressionnant d'auteurs devenus aujourd'hui incontournables :

- Le Journal de SPIROU (Gaston (1957) , Lucky Luke (1946) et tant d'autres ...)

- Tintin, le journal des aventuriers (Alix (1948) , Blake et Mortimer (1946), Michel Vaillant (1957))

- le journal Pilote : Astérix(1959) , Blueberry (1963), Tangy et Laverdure (1959) , Valérian (1967)….

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Au début des années 50, la bande dessinée reste essentiellement un phénomène de presse. Au-delà du tandem Spirou-Tintin et autres périodiques juvéniles spécialisés, on peut en lire dans les grands quotidiens, les hebdomadaires féminins et les premiers « petits formats » populaires. C’est dans les années 1950 que de nouvelles séries sous forme d’albums vont commencer à s’implanter.

Après la guerre, les Américains sont moins portés sur les super-héros, préférant des séries au ton satirique (Snoopy-1950), voire décalé.

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Il y aura bien, dans les années 60, des tentatives d'exploiter à nouveau les héros mythiques, Spiderman (1962), créé à cette époque, sera presque le seul à renouer avec un succès mérité. D'ailleurs ses superpouvoirs, loin de le rendre invincible, le fragilisent souvent.

Tout comme lui, les 4 fantastiques (1961) sont des héros au destin tragique, qui subissent parfois leurs pouvoirs.

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 1960-milieu des années 1970 : La bande dessinée s’émancipe :

Avant la guerre on dessinait en Europe surtout pour les enfants, après la Libération pour les adolescents, dans les années 1970, c’est désormais aux adultes que l’on s’adresse et d’abord aux hommes.

En 1967 paraît l'album Ballade de la mer salée, qui raconte les expéditions mélancoliques d'un marin maltais, Corto Maltese. Son auteur, Hugo Pratt, est considéré comme un précurseur de ce que l'on nommera le graphic novel, où la bande dessinée prend une dimension littéraire.

Petit à petit, une partie des auteurs de bande dessinée (Enki Bilal, Moebius, Tardi, Van Hamme, Shuiten...) se démarque de l'univers de l'enfance, pour affirmer la maturité de leurs héros.

La BD se mue lentement mais sûrement en 9e art.

La contestation et la libération sexuelle se traduisent à travers tous les medias: fluide glacial, Circus, L'écho des savanes, Charlie Hebdo, A suivre... qui proposent une création plus libre et décomplexée.

1976 : le terme « graphic novel » apparaît simultanément pour désigner trois albums parus aux Etats-Unis cette année-là, notamment A Contract With God And Other Tenement Stories de Will Eisner.

Entre roman et BD, le graphic novel (ou roman graphique) marque l'orientation d'une part de la bande dessinée vers le champ littéraire. (exp.: La série Sin city de Frank Miller)

 Les années 1980 : l’ouverture :

Les artistes européens (Bilal, Manara, Shuiten...) accèdent à une diffusion internationale. Aux Etats-Unis, des créateurs imposent leur originalité : Alan Moore, Dave Gibbons et l'incontournable Maüs d'Art Spiegelman...

Mais le phénomène marquant est incontestablement l'explosion des mangas, suite à la découverte de la série Akira(1983), et des héros de dessins animés (car Goldorak, Albator, Dragon Ball et autres Chevaliers du zodiaque sont avant tout des B.D.).

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Ils séduisent largement le public franco-belge, à qui l'on propose rarement ce type d'écriture, et marqueront définitivement la culture et le style d'auteurs américains et européens

Deux grands centres spécialisés sont créés, à Angoulême et à Bruxelles.

Dans la seconde partie des années 1980 la presse spécialisée BD en perte de vitesse cède progressivement la place à un secteur d’albums en pleine expansion qui par ses succès en librairie atteint un très large public : pour n'en citer que quelques uns : XIII (1984), les 7 vies de l'épervier(1982) , la quête de l'oiseau du temps(1975), Thorgal (1977)..

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1990-1999 : la diversification :

La dernière décennie du XXe siècle marque la disparition progressive des principaux supports de presse, au profit du secteur des albums. De nouveaux « Blockbusters » comme Largo Winch(1990), Titeuf (1992) ou Lanfeust (1994) accaparent le devant de la scène. La nouvelle bande dessinée indépendante s’exprime dans des maisons d’éditions comme l’Association. On assiste parallèlement à une confirmation de la déferlante manga.

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 La première décennie du XXIe siècle :

La production éditoriale est en constante évolution. Jamais, les libraires n’avaient vu autant de nouveautés envahir les bacs des magasins. La bande dessinée connait une hausse exponentielle de sa production privilégiant entre autres, le manga avec des succès considérables comme la série Naruto (1999),

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le roman graphique ou les adaptations littéraires. La BD devient également une importante source d’inspiration pour le cinéma.

Et demain ?

La bande dessinée a toujours évolué parallèlement aux technologies qui l’ont accompagné : l’édition BD a ainsi vu le jour dès lors que l’évolution de la technique a permis de reproduire des dessins originaux tracés sur du papier.

Les éditeurs BD cherchent désormais de nouveaux talents sur le web, où les blogs de bandes dessinées se multiplient Depuis à peine une dizaine d’années se développe également la BD numérique un temps cantonnée à l’ordinateur via Internet et qui maintenant connait un véritable second souffle avec les nouveaux supports comme les smartphones ou les tablettes numériques.

Le passage de la BD papier au numérique pourrait constituer de ce fait une suite logique de l’évolution des supports de publication.


Pour le moment, deux voies semblent se dégager : pour commencer, les éditeurs restent attachés au support papier, et n’hésitent pas à dédoubler leur offre, proposant des versions physiques et digitales, comme le réalisaient eux-mêmes les éditeurs Foolstrip, ou Manolosanctis, actuellement en difficulté ; ou sur les plate-formes de diffusion Iznéo, bdBuzz ou AveComics.

Dans le même temps, on peut noter que des outils dédiés se développent, comme Art of Sequence ou Comic Composer,, alors que des outils de diffusion voient le jour petit à petit… par exemple WEBellipses, et NagMag, ainsi que Les Autres Gens. Sur les écrans, tout se mélange, ce qui démultiplie les possibilités créatives et d’interprétation. Comment se raconteront les bandes dessinées de demain ?

Aujourd’hui la bande dessinée est un véritable phénomène de société. Elle fait même l’objet de salons (Salon international de la bande dessinée d’Angoulême), au même titre que les romans. La bande dessinée a donc réussi à se forger une légitimité au fil du temps car c’est un genre qui a su s’enrichir et continuer à évoluer au rythme de la société.

Le neuvième art a donc un bel avenir devant lui !


Pour aller plus loin:

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"La bande dessinée : qui? Quand? Quoi?" Didier Quella-Guyot. Ed. Hachette livre
"BD guide: Encyclopédie de la bande dessinée internationale: son histoire, ses auteurs, ses héros, ses journaux" Dir / Claude Moliterni. Ed; Omnibus.
"Qu'est ce que la bande dessinée aujourd'hui?" Ed. Beaux Arts.

Commentaires

1. Le vendredi, mars 2 2012, 15:56 par JF

Voilà, un peu long peut-être comme billet, mais j'espère qu'il vous apportera autant d'éclairage qu'il m'a été agréable à réaliser.

2. Le mardi, mars 13 2012, 09:54 par anais pin

pas mal les giffs! sinon un très beau article sur la naissance de la BD,très documenté!très agréable à lire!!!!!

3. Le mardi, mars 13 2012, 09:56 par anais pin

pas mal les giffs ! très beau article ,vraiment intéressante,original! très agréable article !

4. Le mardi, mars 13 2012, 22:16 par JF

Merci Anais pin, j'en profite pour te remercier également de tous tes commentaires et te rappelle de ne pas hésiter si tu veux publier sur Cassibulles.

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